Routes et réduction de la pauvreté**

La réduction de la pauvreté est devenue une priorité, autant pour les gouvernements que les donateurs. Il n’y a rien de nouveau dans ce discours, cependant, dans le passé, on a surtout misé sur la croissance économique à tout prix. L’accroissement des écarts entre les riches et les pauvres en est le résultat quelque peu paradoxal. À long terme, il est fort possible que tous profitent de la croissance économique. À court terme, celui dans lequel nous vivons, les mieux nantis sont aussi les mieux positionnées pour profiter des opportunités qui se présentent.

Les critères de prioritisation traditionnels, fort orientés vers la promotion des activités économiques, ne ciblent pas la pauvreté. Certes, les routes contribuent à une mobilité accrue, mais les démunis sont mal positionnés pour en profiter. Les avantages sont accaparés par les mieux nantis. Les investissements routiers doivent donc cibler ceux qui sont démunis à cause, au moins en partie, d’un accès inadéquat aux services.

Fournir l’accès routier aux régions pauvres et isolées exige, bien entendu, des améliorations et extensions du réseau. L’entretien sera en même temps de plus en plus coûteux et de moins en moins durable, puisque les véhicules motorisés seront progressivement plus rares. La durabilité ne peut être assurée qu’en partant d’un ” réseau noyau ” répondant au minimum aux besoins locaux d’un accès par véhicule motorisé toute l’année et en même temps susceptible d’être entretenu par les fonds disponibles au niveau national et local. En l’absence de ce réseau de base, on ne peut cibler la pauvreté puisque le coût serait prohibitif et la durabilité chancelante.

L’identification de ce réseau noyau est donc la priorité absolue. Actifs patrimoniaux importants mais hautement vulnérables, les routes rurales les plus achalandées sont prioritaires pour les travaux d’amélioration et l’entretien subséquent. Leur sélection dépendra des critères avantages/coûts conventionnels. D’autres routes, peu viables selon ce critère, mais néanmoins essentielles du point de vue de la cohérence générale du réseau, peuvent être sélectionnées, en collaboration directe avec les acteurs locaux, selon des critères de efficacité/coûts moins exigeants. Il va sans dire que les méthodes de construction à base de main d’œuvre doivent être privilégiées si on veut vraiment cibler la réduction de la pauvreté.

Un programme formulé ainsi ne s’adresse que marginalement à la réduction de la pauvreté. Les routes praticables toute l’année par les véhicules moteurs n’assureront que tangentiellement l’accès aux services essentiels aux démunis. Les routes d’accès communautaires, tributaires du réseau noyau, empruntées massivement par des personnes à pied et des bicyclettes, doivent aussi être améliorées sélectivement. Cependant, compte tenu des faiblesses de la gestion à ce niveau, la durabilité de ces investissements reste douteuse sans un effort considérable de renforcement des structures de gestion locales

L’approche fondée sur le principe de l’accès de base, en définissant un seuil d’isolement socialement acceptable à partir de la distance maximale à parcourir à pied pour atteindre une route, permet d’identifier les populations isolées et fournit la base de départ d’une stratégie de ciblage de la pauvreté par des investissements routiers.

Rappelons, néanmoins, que la pauvreté et l’isolement sont liés. Certes, on peut être pauvre n’importe où, mais il est quand même plus difficile à améliorer son sort si l’on est coupé des services nécessaires. De plus, il nous semble, comme simple mesure de justice sociale, que tout citoyen doit, dans les limites du possible, avoir accès au transport motorisé en cas de besoin.

L’approche est facile à mettre en œuvre. Les groupes coupés physiquement du réseau de base pourront être identifiés provisoirement à partir des cartes. Des enquêtes sur le terrain confirmeront la coexistence de l’isolement et de la pauvreté et ensuite, que la mobilité accrue assurée par une route praticable sera utile. Enfin, on pourra se mettre d’accord avec la population sur un tracé suffisant pour les relier au réseau de base sans dépenses excessives.

Néanmoins, des routes seules risquent d’être insuffisantes pour réduire la pauvreté, ou même assurer une meilleure accessibilité aux services. La planification de l’accessibilité en milieu rural fournit une approche plus prometteuse pour cibler la pauvreté que celles motivées, au départ, par l’amélioration des routes. Ainsi, on étudie les problèmes que pose l’accès déficient aux services nécessaires, autant à ceux en dehors qu’à l’intérieur de la communauté, en proche collaboration avec ceux et celles qui les subissent.

En conclusion, les véhicules moteurs jouent un rôle mineur dans le quotidien des démunis et les critères économiques reposant sur les bénéfices aux utilisateurs sont forts imprécis. Néanmoins, ces critères sont essentiels à l’identification du réseau noyau durable sur lequel les initiatives visant la réduction de la pauvreté doivent s’appuyer. La réduction de la pauvreté exige des critères qui ciblent explicitement les démunis tout en permettant d’explorer une large gamme de moyens, dont les moyens de transport appropriés, pour accroître leur mobilité et aider à formuler des solutions taillées sur mesure. Plus précisément, des indices qui les localisent, vérifient l’utilité d’une route, et au besoin indiquent que faire pour améliorer l’accessibilité des services qui leurs sont nécessaires.