Il serait téméraire de remettre en question la croyance populaire qui veut que le secteur privé soit plus efficace que le secteur public. Cette croyance est loin d’être totalement fausse. Les dépassements de coûts ne risquent pas de mettre un ministre en faillite. Les fonctionnaires consciencieux sont rarement récompensés pour des efforts audacieux et risquent même des critiques. Par contre, les entreprises et leurs employés doivent se soumettre aux principes de survie darwiniens.
Néanmoins, l’encadrement des entreprises et la gestion des contrats nécessitent une fonction publique honnête et compétente. Les entreprises de construction compétentes et fiables existent certes mais sont encore rares, puisque les gouvernements ont jusqu’à récemment monopolisé les compétences et les occasions de les appliquer. Idéalement, le secteur public devrait servir d’incubateur aux futurs entrepreneurs, puisque la dominance du secteur public tire maintenant à sa fin. Ses propres ressources diminuent et c’est le secteur privé qui doit de maintenant construire et entretenir les routes sur une base contractuelle.
Le gouvernement central n’a jamais été le choix idéal, autant pour la planification que l’entretien des petits projets routiers en milieu rural. Les chantiers sont éloignés tandis que les compétences s’agglutinent autour de la capitale. Sur une petite échelle, d’une durée limitée et très dispersés, les travaux routiers en milieu rural ne peuvent assurer des emplois à plein temps. De toute façon, si on s’occupait sérieusement du réseau rural, les effectifs gouvernementaux seraient vite dépassés.
La décentralisation de la gestion alliée à l’implication maximale des firmes locales est donc devenue essentielle. Ceux qui sont les mieux situés sur place pour obtenir des réponses doivent eux-mêmes poser les questions de base. Le gouvernement central a le double rôle d’arbitre et de participant au financement. Il devra mettre en place les conditions qui garantiront, en premier lieu, que les investissements en infrastructures assureront la meilleure contribution possible à l’accessibilité locale et, ensuite, qu’on disposera localement des ressources nécessaires à leur exécution. Au besoin, ses ingénieurs assureront l’appui technique aux gestionnaires locales.
Les entreprises compétentes auxquelles on peut faire appel se situent sur un continuum sectoriel, allant de l’informel au structuré. D’un côté, on retrouve de simples fournisseurs de main d’œuvre pour l’entretien courant, ne possédant que des outils légers et des bicyclettes. À l’autre extrême se trouvent des sociétés dotées d’un personnel hiérarchisé et possédant des compétences techniques et en gestion, et d’un parc de matériel léger, capables à exécuter des projets d’envergure de préférence à base de main-d’œuvre. Entre ces deux pôles on pourra trouver des groupements semi-structurés d’artisans qui s’occupent de la construction et de la réparation des structures de drainage et assurent la main-d’œuvre en sous-traitance dans les grands projets.
Le problème c’est que ces entreprises, ainsi que les structures pour les gérer, manquent encore en milieu rural. S’il est relativement facile de mener à bien, avec un encadrement serré, un projet de construction routière, il est très difficile de garantir cette durabilité qui ne peut être assurée que par la prise en charge locale. La préparation de ces projets est ardue, tant au niveau de la formation que du renforcement des structures pour ensuite exploiter les compétences acquises, soit sur le prolongement du même chantier, soit ailleurs sur d’autres projets. La formation des groupements informels ne nécessite que quelques jours, essentiellement sur le tas. Pour les travaux plus complexes, par contre, les besoins en formation théorique et sur le tas grimpent rapidement, et peuvent s’étaler sur plusieurs mois. La formation ne peut seule assurer l’émergence et la survie subséquente des entreprises durables. En même temps il faut prévoir des programmes parallèles permettraient de cibler les entraves à la survie des ses entrepreneurs du côté de la demande puisque a demande pour les entreprises de construction est généralement très faible en milieu rural. Il faut donc promouvoir la polyvalence pour qu’elles puissent accepter d’autres travaux, tels que la construction de maisons, d’écoles ou de dispensaires complémentaires aux réseaux routiers. Dans la même veine, il ne faut pas exécuter les projets routiers en vase clos, mais les situer dans un programme de réhabilitation d’un réseau extensif. On conserve ainsi les acquis en formation et on assure une demande stable pour les entreprises.
La demande dans le secteur est fort volatile et l’accès au crédit est vital pour traverser les périodes tranquilles. Les administrations payent très tardivement leurs factures, créant le besoin de crédit supplémentaire à court terme. Toutefois, la prudence est de rigueur si on veut appuyer les organismes de financement. Il faut plutôt s’attaquer à la racine en réduisant le besoin d’emprunter. Il faut donc décourager les tendances aux investissements excessifs des entrepreneurs, en appuyant, par exemple, la diffusion de la technologie à base de main-d’œuvre et par l’aide à l’achat d’engins légers et polyvalents afin qu’on peut facilement entreprendre d’autres travaux. Il faut en même temps exiger la mise en place de procédures administratives rapides et transparentes, surtout quand on a affaire avec le secteur informel, qui risque davantage de perdre ses employés, et donc, les bienfaits de la formation. Les retards des paiements peuvent même avoir des effets pervers pour une stratégie favorisant l’emploi. On risque non seulement de perdre à jamais les bonnes entreprises, mais on peut arriver à les obliger à acheter des engins totalement amortis et bon marché, plus facile à gérer que la main-d’œuvre découragée.
Il va sans dire qu’il faut s’assurer que les procédures d’appels d’offres permettent à toute entreprise, grande ou petite, de se livrer une concurrence égale. Il faut aussi promouvoir la sous-traitance locale sur des grands projets. Finalement, le gouvernement doit éliminer l’ensemble des anomalies fiscales et législatives qui entravent la concurrence et, en encourageant la fraude, exacerbent la vulnérabilité des entreprises les plus honnêtes.